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Jenola, veilleur d’abîme

 

Œuvre terrible et de terrible santé, quand chaque œuvre est une secousse.…

Jenola brûle nos déserts d’âme. Des gueules d’abîme, issues par effraction de l’implacable nuit de toutes nos origines, saccagent fort l’étendue. Jenola accidente toute surface peinte, laissant surgir à chaud le dessin sous-jacent. Des yeux sans regard, dans des faces lunaires à la pâleur mortelle, trouent dans l’univers, tandis que des plaies d’existence semblent avoir trouvé enfin des semblances de peau pour faire sanglant remède à la fin des tendresses. Chaque corps est une cicatrice par quoi Jenola exorcise les blessures du monde. Et ces blessures peintes sont comme des croûtes solaires arrachées aux surfaces fabriquées. Au sein âpre d’une matière rugueuse, elles vibrent dans une impressionnante frontalité.

Il n’y a pas d’échappatoire dans le face-à-face éprouvant qu’impose Jenola. Eclaboussant portrait d’impensable inhumanité.

Sa peinture au goût de cendres, somptueuse et “violuptueuse“, règne à vif sur les tous les décombres fatigués du corps narcissique, et sur ses pauvres avatars d’infortune. Couve une invraisemblable énergie qui suinte à vif dans le suaire infini de sa nuit.

Chez lui, il pleut du sang et de l’opacité. Peinture-linceul.

Chez lui, la ténèbre est agissante. Elle opère sans anesthésie culturelle, accouchant d’entités crues, morcelées, à peine supportables. Elles ont pourtant traversé tous les désastres. Et il n’y a plus que d’animales présences pour faire décor vital dans la disparition de toutes les molles apparences, et dans les respirations du vide. Peau humaine et peau animale ne sont pas séparées. Elles jubilent ensemble dans cette érotique latente et souterraine. Dans une extrême tension, à la fois tragique et festive, elles tempèrent l’inhumain de l’humain…

Jenola, grand veilleur de chair, est un combattant acharné de la cruauté distancée, et, plus encore, un subtil magicien de la couleur toujours enfouie. Chez lui, au cœur du lourd bitume utilisé, le rouge et le noir s’étreignent sans fin. Jenola le dur-à-peindre est un maître du scalpel mental, scabreux, prodigieux, et cependant d’une étonnante sobriété de moyens, comme décapé de tout. “J’ai l’impression d’éteindre un incendie“, m’a-t-il dit dans le secret de son atelier.

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Christian Noorbergen

Série noire

 

D’abord on ne voit que ces yeux ronds qui nous fixent, puis ces têtes d’œuf, sans identité, sans cheveux, nez, oreilles, lèvres, juste une fente en guise de bouche, presque une plaie chez certains personnages. Pour dire leur tristesse, leur désarroi ou appeler au secours comme le petit homme du Cri de Munch ?

La vie est un combat ou une divine comédie dans les toiles de JENOLA. Elles parlent d’immigrés s’échouant sur les pages de Méditerranée, de couples qui se déchirent, de solitude, de délation…Une peinture figurative, critique, ironique, à peine adoucie par la présence d’animaux (chien, tortue, lièvre, coq…) « pour humaniser les hommes », explique ce natif de Corrèze, qui a passé vingt-six ans dans l’industrie automobile avant d’être totalement bouleversé en découvrant l’œuvre de Paul Rebeyrolle à Eymoutiers et de tout quitter en 2008 pour effectuer un virage à 180°, se consacrer pleinement à la peinture (qu’il pratiquait déjà depuis une trentaine d’années) et devenir JENOLA (JEan-NOël LAporte).

Sans pinceaux, exclusivement à la spatule et au couteau, JENOLA peint la nature humaine avec des scènes du quotidien, des brèves de comptoir, mais aussi des interprétations de poèmes et de textes de Lautréamont, Bukowski ou Dante. Et comment ne pas penser aussi à une représentation du moi physique et psychique de l’artiste face à tous ces crânes… « Tout portrait qu’on peint avec âme est un portrait non du modèle, mais de l’artiste », considérait Oscar Wilde.

Sur un fond de bitume « qui vient anéantir la blancheur de la toile », il applique une succession d’acryliques aux couleurs chaudes rouge, jaune et orange, et des encres, avant de martyriser la matière, la lessivant légèrement pour faire ressortir le fond, la griffant avant de la lustrer longuement, générant de somptueux glacis d’où émergent ses personnages dantesques dont les visages lumineux éclairent le fond noir bitumineux. C’est ma « Série noire » dit l’artiste en contemplant l’une de ses dernières toiles peintes en juin 2016 : La Plage de Kos, un hommage douloureux à tous ces migrants qui viennent se réfugier -ou mourir- sur les plages et îles grecques, l’un des points d’entrée de l’Europe.

Un regard sur le monde d’une grande intemporalité, accroché à une exigence : « il faut que chacun vive », et brossé avec rudesse autant qu’avec tendresse.

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 Catherine Rigollet (juillet-août 2016) L'Agora des Arts

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Concours Critique d'Art ARTENSION 2018

 

Ils pourraient être de ceux que l’on croise, considère ou regrette, de la veine familiale ou toute autre, touchant de près comme de loin à notre sphère intime par leur simple présence. Ces curieux « figurants », à l’al-lure indolente et aux teints blêmes, nous interrogent, nous chagrinent, nous poussent dans nos derniers retranchements, et il est impossible d’en sortir indemne, leurs regards hagards insistants, à demi éclipsés, semblant en réalité sonder les tourments et les joies qu’occasionne sur nous notre lot quotidien.

Cette révélation n’est cependant pas de celles qui demeurent à l’état de fugaces chimères mais extirpe plutôt sa profondeur de l’ombre par un détonnant savoir-faire, tel est l’exploit de Jenola : peindre des toiles aux sujets ordinairement crus sans jamais pacifier la tension qui en émane par quelque artifice – la présence récurrente d’animaux domestiques ou communs ne crée ici aucune soupape de décompression, mais ajoute au mystère, celui de la vie. Nous sommes pris à témoin de cette force salvatrice par un jeu subtil de combinaisons entre les tonalités éclatantes et les mornes, les couches reluisantes et les textures émiettées, parfois dégoulinantes, la « dépersonnification » qu’il opère aussi sur le visage de ses personnages nous aide à renforcer le parallèle établi avec notre propre existence, ces derniers étant dépourvus des traits caractéristiques de la morphologie humaine. Ils ne se cachent donc jamais et se dévoilent en surexposition, dans une mise en scène où la situation, d’apparence banale, prend une tournure critique sans jamais entacher le souci de préservation de l’authentique : naissance, délation, sacrifices, chiures d’oiseaux, portraits de famille, souvenirs d’enfance, traumatismes béants…, demandez le programme !

S’inspirant des aléas de la vie et puisant ses ressources au cœur de son brouhaha ordinaire, le peintre s’active, ne voulant laisser vaine cette pulsion créatrice qui lui est naturelle, il tapisse en premier lieu de chiffres et de lettres le bitume de ses fonds, indice référentiel d’une pseudoville-mémoire. Là où certains se seraient enlisés, Jenola s’en sort incontestablement, le fait de mêler à la peinture des signes est une tâche ardue, le poids qu’ils imposent à la composition pouvant faire vaciller à tout moment sa potentialité picturale entière. Il s’avance à présent et dégaine couteaux et spatules, acryliques, encres, fusains ou encore pastels, seuls moyens de survie dans un monde ébranlé, pour esquisser les grandes lignes de sa vérité sociale. Il l’attend, en est l’exemple concret et c’est d’ailleurs l’unique œuvre de l’artiste que nous pouvions admirer au salon Figuration Critique cette année. La pose est lasse, les yeux figés,cette doublure de chair patiente, prostrée dans son fauteuil noir abyssal que l’on peine clairement à dissocier de l’atmosphère sinistre qui règneà demeure, son habit est rouge sang. Le compteur dans une main ballante, déjà bien fatiguée, voire semi-paralysée, il égrène le temps avec ennui dans un dénuement le plus strict. Ce titre énigmatique nous renvoie-t-il à notre fin ultime ou évoquerait-il les prémices de retrouvailles heureuses ?

Le « doute est » de mise, « c’est un hommage rendu à l’espoir » (comte de Lautréamont, Les Chants de Maldoror, 1869)…

 

Chloé MACARY  gagnante du Concours de Critique d’Artension 2018

Cette jeune auteure - ancienne étudiante en master d’esthétique et sciences de l’art à la Sorbonne, ex-médiatrice culturelle, vivant à Combs-la-Ville (77) - a consacré son texte à l'artiste Jenola, choisi lors du salon Figuration Critique 2018

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